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dimanche 29 décembre 2013

Androclès et le Lion



Pendant mon séjour à Rome, dit Appion, on donnait au peuple, dans le grand cirque, le spectacle d’un combat de bêtes dans le plus grand appareil. Les barrières levées, l’arène se couvre d’une foule d’animaux frémissants, monstres affreux, tous d’une hauteur et d’une férocité extraordinaires. On vit surtout bondir des lions d’une grandeur prodigieuse. Un seul fixa tous les regards : une taille énorme, des élancements vigoureux, des muscles enflés et roidis, une crinière flottante et hérissée, un rugissement sourd et terrible, faisaient frémir tous les rangs des spectateurs. Parmi les malheureux condamnés à disputer leur vie contre la rage de ces animaux affamés, parut un certain Androclès, autrefois esclave d’un proconsul.

Dès que le lion l’aperçoit, dit l’écrivain, il s’arrête tout à coup, frappé d’étonnement ; il s’avance d’un air adouci, comme s’il eût connu ce misérable ; il l’approche en agitant la queue d’une manière soumise, comme le chien qui cherche à flatter ; il presse le corps de l’esclave à demi-mort de frayeur, et lèche doucement ses pieds et ses mains. Les caresses de l’horrible animal rappellent Androclès à la vie ; ses yeux éteints s’entrouvrent peu à peu, ils rencontrent ceux du lion. Alors, comme dans un renouvellement de connaissance, vous eussiez vu l’homme et le lion se donner des marques de la joie la plus vive et du plus tendre attachement.
        Rome entière, à ce spectacle, poussa des cris d’admiration, et César, ayant demandé l’esclave « Pourquoi, lui dit-il, es-tu le seul que la fureur de ce monstre ait épargné ?
ouvrage rédigé avec le concours et publié sous les auspices 
de MM. le baron Benjamin Delessert et le baron de Gérando, 1858


  – Daignez m’écouter, Seigneur, dit Androclès ; voici mon aventure : pendant que mon maître gouvernait l’Afrique en qualité de proconsul, les traitements cruels et injustes que j’en essuyais tous les jours me forcèrent enfin de prendre la fuite ; et, pour échapper aux poursuites d’un maître qui commandait en ce pays, j’allai chercher une solitude inaccessible parmi les sables et les déserts, résolu de me donner la mort de quelque manière que ce fût, si je venais à manquer de nourriture. Les ardeurs intolérables du soleil, au milieu de sa carrière brûlante, me firent chercher un asile. Je trouvai un antre profond et ténébreux, je m’y cachai ; à peine y étais-je entré, que je vis arriver ce lion : il s’appuyait douloureusement sur une patte ensanglantée. La violence de ses tourments lui arrachait des rugissements et des cris affreux. La vue du monstre rentrant dans son repaire me glaça d’abord d’horreur ; mais, dès qu’il m’eut aperçu, je le vis s’avancer avec douceur : il m’approche, me présente sa patte, me montre sa blessure et semble me demander du secours. J’arrachai une grosse épine enfoncée entre ses griffes ; j’osai même en presser la plaie et en exprimer tout le sang corrompu ; enfin, pleinement remis de ma frayeur, je parvins à la purifier et à la dessécher. Alors l’animal, soulagé par mes soins et ne souffrant plus, se couche, met sa patte entre mes mains, et s’endort, paisiblement. Depuis ce jour, nous avons continué à vivre ensemble, pendant trois ans, dans cette caverne. Le lion s’était chargé de la nourriture ; il m’apportait exactement les meilleurs morceaux des proies qu’il avait déchirées ; n’ayant point de feu, je les faisais rôtir aux plus grandes ardeurs du soleil.

Cependant, la société de cet animal et ce genre de vie commençant à m’ennuyer, je choisis l’instant où il était allé chasser, je m’éloignai de la caverne, et, après trois jours de marche, je tombai entre les mains des soldats. Ramené d’Afrique à Rome, je parus devant mon maître, qui, sur-le-champ, me condamna à être dévoré, et je pense que ce lion, qui, sans doute, fut pris aussi, me témoigne actuellement sa reconnaissance. »

Tel est le discours qu’Appion met dans la bouche d’Androclès. Aussitôt on l’écrit, on en fait part au peuple ; ses cris redoublés obtinrent la vie de l’esclave et lui firent donner le lion. On voyait Androclès, continue l’auteur, tenant son libérateur attaché à une simple courroie, marcher au milieu de Rome. Le peuple enchanté le couvrit de fleurs et le combla de largesses, en s’écriant « Voilà le lion qui a donné l’hospitalité à un homme, et voila l’homme qui a guéri un lion.
Source : Les bons exemples, nouvelle morale en action
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