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Alceste, le misanthrope, est le plus loyal et le plus droit des hommes ; malheureusement il lui manque une vertu, l’indulgence pour la conduite des autres. Dans son rigorisme, il pousse la franchise jusqu’à la brutalité. Un compliment banal, de pure politesse, en voilà assez pour le faire crier au mensonge, à l’hypocrisie, et il ne voit partout « qu’imposture, intérêt, trahison, fourberie ».
Aussi dans sa colère peu réfléchie, il n’épargne personne et ne craint pas de dire qu’il hait tous les hommes,
« Les uns parce qu’ils sont méchants et malfaisants,
Et les autres, pour être aux méchants complaisants
Et n’avoir pas pour eux ces haines vigoureuses
Que doit donner le vice aux âmes vertueuses. »
À la mauvaise humeur du misanthrope, Molière oppose l’esprit accommodant de Philinte, ami d’Alceste, qui ne veut être l’ennemi de personne, et qui pousse peut-être un peu loin l’indulgence et la complaisance.
Ces deux caractères tracés, Molière tire un grand parti de leur contraste. Alceste a un procès, au sujet duquel Philinte l’engage à aller visiter ses juges ; confiant dans la justice de sa cause, il refuse, et s’emporte contre le genre humain lorsqu’il apprend que son adversaire a triomphé. Une autre fois, il se met une affaire d’honneur sur les bras, pour avoir voulu dire crûment sa façon de penser à un poète prétentieux qui était venu lui soumettre un sonnet de sa composition. Enfin, malgré la rigidité de ses principes, Alceste a la faiblesse d’être épris d’une femme, Célimène, qui, bien loin de partager ses goûts et ses idées sur le monde, est le modèle des coquettes en même temps que fort médisante. Le misanthrope ne peut naturellement contenir son indignation fort souvent justifiée lorsque Célimène donne un libre cours à sa mauvaise langue, mais il devient ridicule par la violence de ses emportements qui contrastent avec la futilité des causes qui les provoquent. Convaincu enfin de l’indignité de cette qu’il a aimée avec toute la sincérité de son cœur, Alceste refuse l’offre qu’elle lui fait de sa main.
Rousseau a blâmé sévèrement cette pièce au point de vue de la morale. Il trouve que Molière y cherche à jeter du ridicule sur l’honnêteté et la sincérité. Rousseau se trompe. Ce n’est pas de l’honnête homme que Molière se moque ; il veut seulement prouver que l’homme le plus vertueux n’est pas exempt de petites faiblesses. Le but du Misanthrope est la tolérance sociale. C’est de tous les ouvrages de Molière celui où il a représenté d’une manière plus générale les travers de l’humanité. Il est sorti dans cette pièce plus que dans les autres du cercle étroit des ridicules et des mœurs de son siècle ; il y a peint tous les siècles puisqu’il y a peint le cœur humain.
[D’après Daniel Bonnefon. Les écrivains célèbres de la France, ou Histoire de la littérature française depuis l'origine de la langue jusqu'au XIXe siècle (7e éd.), 1895, Paris, Librairie Fischbacher.]
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