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lundi 18 novembre 2013

Le Cid est-il un drame romantique?

Le Cid est-il un drame romantique? Voilà la question que pose Jules Lemaître :

Début : J. Lemaître, pour soutenir sa thèse, dégage bien les caractères romantiques de la pièce de Corneille, mais il néglige les autres, plus importants, somme toute, qui font néanmoins du Cid la première en date des tragédies classiques.

Ce qu’il y a de romantique dans le Cid :
a) Le sujet qui n’est pas pris à l’antiquité, mais au moyen âge espagnol.
b) La liberté relative vis-à-vis des règles : les trois unités comprises d’une manière large.
c) Le mélange des genres : ton, parfois familier, de la tragi-comédie, ou ton précieux de la comédie romanesque.
d) Introduction de la poésie lyrique (Stances) et de la poésie épique (combat de Maures).

Pourquoi le Cid n’est pas une pièce romantique :
Il suffit d’imaginer ce qu’aurait fait Victor Hugo de ce sujet :
a) un drame d’un réalisme brutal, selon les mœurs primitives du romancero;
b) un spectacle dégageant tout le pittoresque espagnol;
c) un duo d’amour où la passion aurait tenu l’honneur en échec et qui eût tourné au noir (dénouement sanglant).
Le Cid est la première de nos tragédies classiques.
Qu’a fait Corneille du scénario fourni par Guilhem de Castro?
a) un drame de conscience où les seuls sentiments sont aux prises;
b) il a concentré et simplifié l’action selon les exigences de la raison française;
c) il a sacrifié les richesses extérieures pour développer les richesses morales.

Conclusion :
Cette pièce, classique en ses caractères essentiels, reste pourtant un drame unique dans la carrière de Corneille.

DÉVELOPPEMENT
Cette comparaison de la pièce de Corneille avec un drame romantique semble au premier abord justifiée par certaines ressemblances. Très étroitement, Jules Lemaître en a dégagé les traits principaux les plus frappants, et il néglige les autres caractères. Il serait imprudent d’admettre sans examen cette assertion de l’auteur des Impressions de théâtre. Peut-être n’est-ce là qu’une « impression », et l’on pourrait soutenir, surtout si l’on songe à ce qu’un vrai romantique eût fait d’un tel sujet (Victor Hugo, par exemple), que Corneille, dans ce drame, hardi, d’ailleurs, et que son époque n’accepta pas sans résistance, s’avère, avec le Cid, le premier des classiques au théâtre et mérite d’être appelé « le père de la tragédie ».

Voyons d’abord ce qu’il y a de « romantique » dans le Cid. Si l’on entend par là une forme assez libre vis-à-vis des traditions et des règles, selon les revendications de la Préface de Cromwell, on est frappé de l’indépendance de Corneille et de la liberté d’allure de son drame.

Le sujet est pris au moyen âge espagnol et non à l’antiquité, ce moyen âge que chérira le romantisme et cette Espagne dont s’inspirera trois fois, au théâtre, Victor Hugo (Hermani, Ruy Blas, Torque-mada).

Il use encore d’une liberté relative quant aux unités. L’unité d’action est entendue au sens large, mais il se greffe sur l’action essentielle des épisodes parasites : romanesque amour de l’infante, récit épique de la bataille des Maures. Le lieu des scènes n’est pas unique, Corneille s’en excuse dans son Examen de la pièce (palais du roi, maison de Chimène, rue ou place publique).
Quant au temps, les vingt-quatre heures sont observées, mais au prix de la vraisemblance, les héros « travaillent la montre à la main », et visiblement Corneille eût souhaité que le spectateur ne s’aperçût pas que l’heure tourne.
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