Dans son roman « Le pleurer-rire », Henri Lopes narre l’accession au pouvoir dans une république fictive de l’Afrique noire d’un militaire grotesque et terrifiant, le général Bwakamabé Na Sakkadé. Tonton, comme le dictateur aime à se faire appeler de ses sujets, prend les rênes du pays après un coup d’Etat qui renverse son rival, un despote issu tout comme lui des rangs militaires et non moins monstrueux. L’écrivain natif de l’ancien Zaïre et par-là-même bien placé pour dénoncer ces dictatures, se fait ainsi le témoin de tous ces régimes effrayants qui ont sévi et sévissent encore dans une Afrique exsangue à cause de ces fous de pouvoir comme le furent en leur temps Mobutu, Bokassa et autres Amin Dada. Des régimes totalitaires soutenus par des puissances occidentales qui voyaient en eux un rempart au bloc communiste et qui de ce fait se moquaient totalement du sort des populations martyres. Le lecteur est plongé dans cet univers terrifiant grâce à un acteur privilégié dont l’identité n’est jamais mentionnée, le maître de cérémonie et du confort personnel de Bwakamabé Na Sakkadé. Derrière une naïveté apparente, le domestique, aidé de sa présence quasi permanente auprès du dictateur, dresse un tableau fort détaillé d’un exercice du pouvoir où se confondent intérêts privés et gouvernance, paternalisme et autoritarisme, orgueil, égocentrisme et raison d’Etat. Bwakamabé Na Sakkadé est l’archétype de ces chefs d’Etat dont la gouvernance est un assemblage surprenant d’emprunts à la gestion occidentale de l’Etat dite moderne et à des traditions tribales. Pour preuve, la cérémonie officielle d’accession au pouvoir où les ambassadeurs de nombreux pays sont présents est précédée d’une intronisation pendant laquelle des sorciers invoquent les ancêtres et autres divinités pour protéger le règne du monstre. De même, quand le dictateur est en difficulté, notamment après avoir été la victime d’un coup d’Etat manqué, il dresse sa tribu dont il est un haut dignitaire, les Djabotamas, contre celle des Diassikinis dont les membres sont traités de traîtres à la patrie. Les propos de haine diffusés sur les ondes radiophoniques ne sont pas sans rappeler les slogans éructés sur la radio des « Mille Collines » au Rwanda. Le sujet traité pouvait laisser penser que la lecture du roman serait éprouvante. Ce n’est pas le cas, car sur le ton du burlesque Henri Lopez réussit à concilier deux genres, le comique et le dramatique ; d’où le titre, « Le pleurer-rire ». Tout comme « Les termitières de la savane » de Chinua Achebe ou encore « En attendant le vote des bêtes sauvages », d’Amadou Kourouma, « le pleurer rire » d’Henri Lopes est un roman majeur dans la dénonciation des régimes tyranniques en Afrique.
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mercredi 23 avril 2014
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